1 Mars 2002

     

COURRIER


Chers responsables syndicaux

Suite à la dernière réunion des Psychiatres de Vaucluse, nous avons décidé de vous adresser cette lettre qui traduit notre incompréhension face à l’action, voire l’inaction de nos syndicats censés représenter les psychiatres.

Alors que partout nous voyons des catégories sociales ou professionnelles se mobiliser, rien de notre côté alors que le CNPsy n’a pas été augmenté depuis bientôt 7 ans.

Alors que nous, psychiatres libéraux, sommes ignorés dans les rapports (ministériels ou commissions) ou leurs comptes-rendus en ne nous citant pas, en ironisant sur notre prise en charge de soit disant bleus à l’âme, aucune dénonciation dans les grands médias, que quelques mots dans nos publications à diffusion limitée.

Quant à la position des syndicats de psychiatres face à la télétransmission, à savoir retarder le plus longtemps possible mais c’est la loi et nous devons donc nous y soumettre, elle ne nous satisfait pas. C’est baisser les bras que de s’arrêter à cela. Certes nous ne pouvons pas mettre en péril nos cabinets par des amendes exorbitantes, mais cela ne signifie pas que nous devons rester bâillonnés. 
Nous ne reviendrons pas sur le danger que représente la télétransmission pour le secret médical : chaque informaticien moyen sait, contrairement à ce qu’affirment les tenants de la télétransmission, que derrière les ordinateurs, derrière la transmission des données, il y a des programmes et que tout programme est piratable, quelques que soient les barrières mises, barrières qui elles-mêmes sont aussi des programmes. Nous ne reviendrons pas non plus sur le fait qu’avec la télétransmission nous sommes rendus responsables de l’acheminement des données alors que nous n’en avons pas la maîtrise : ce n’est pas notre métier, encore moins notre vocation.
Nous voudrions insister sur l’effet néfaste de la télétransmission dans la consultation et la prise en charge psychiatrique pour de nombreux patients. Elle transforme la relation médecin-malade en relation « auxiliaire de sécurité sociale-consommateur déresponsabilisé ». Cette obligation contraignante de remplacer « la feuille de soins » par un acte de télétransmission fait du psychiatre, ipso facto et de surcroît, un opérateur administratif et un agent d’exécution en passe de devenir fonctionnellement un véritable « agent de sécurité sociale », impliqué comme tel par ce nouvel acte qui s’immisce dans sa pratique et qui modifie ainsi discrètement quelque peu le statut, la fonction et le positionnement symbolique de sa place de praticien. Nous devenons un « monsieur bons offices », l’exécutant fonctionnalisé d’une prestation de service sociale d’un autre ordre, prestation dont la Sécurité Sociale et les patients se délesteront désormais sur nous médecins, ainsi enrôlés de force dans cette nouvelle mission sociale tutélaire implicite : gérer partiellement les affaires d’autrui !
Il faut rappeler l’importance de la valeur symbolique que peut revêtir dans certains cas l’acte de l’établissement d’une feuille de soins, acte réalisé à la fin de la consultation et qui s’accompagne du geste de la remise en mains propre au patient de sa « feuille de soins » dûment remplie et signée par le médecin et aussi remplie et signée par le patient lui-même qui l’adresse à la «sécu». Nous n’insisterons jamais trop à dire que dans un certain nombre de cas délester le patient de l’acte personnel d’avoir à se faire rembourser lui-même de ses frais de maladie en réalisant à sa place les opérations simples qui lui permettent automatiquement d’obtenir vite ce remboursement peut néanmoins venir conforter une tendance insidieuse à la passivation dudit malade.
Nous craignons donc que de telles mesures autoritaires ne réduisent l’acte médical à un pur objet formel préventif de consommation juridiquement conforme, d’où toute dimension du Sujet en cause serait comme tel censurée, évacuée du champ efficient spécifique à notre pratique de psychiatre. L’automatisation qui déplace la responsabilité du paiement de l’acte thérapeutique sur le psychiatre élude la question du transfert qu ‘elle vient occulter alors que c’est une vraie question propre à notre spécialité, et sur laquelle les pouvoirs publics imposent un silence de mort. Cet utilitarisme gestionnaire technique et technocratique instaure une vraie situation d’irresponsabilisation qui favorise l’assistanat généralisé et la passivité.
L’automatisation forcée, les transferts erratiques de responsabilité et la non reconnaissance d’une part active dévolue au malade dans sa possible participation personnelle au paiement de ses propres soins, constituent pour un grand nombre de cas une erreur irresponsabilisante par laquelle se perpétuera, si l’on n’y veille, la méconnaissance de ce qui pourrait contribuer à restituer au malade un réinvestissement de sa dynamique vitale par le respect et la reconnaissance de sa place de sujet.
Sur le fond et à priori nous sommes tout à fait partisans de la modernisation et de la bonne utilisation des nouvelles technologies mais en complet désaccord avec les modalités qui nous sont actuellement imposées. Cette opposition n’est pas liée à un point de vue rétrograde ou passéiste mais au désir d’une véritable modernité qui utilise les progrès techniques pour concilier d’une façon harmonieuse les points de vue et les exigences de l’ensemble des parties concernées, en particulier le malade, le médecin et l’administration et non pour satisfaire uniquement cette dernière, c’est à dire une seule des parties. Si les instances décisionnelles avaient élaboré leur projet dans la concertation avant d’imposer un tel système, nous aurions certainement pu aboutir à un système satisfaisant, comme semble-t-il en Espagne, où le médecin inscrit électroniquement sur la carte du patient la consultation mais où c’est le patient qui fait lui même la télétransmission à l’aide des nombreuses bornes présentes dans les services publics.

Bien cordialement

 Le Président
Gilles Formet


 

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