| Chers responsables syndicaux
 
 Suite à la dernière réunion des Psychiatres de Vaucluse, nous
                    avons décidé de vous adresser cette lettre qui traduit notre
                    incompréhension face à l’action, voire l’inaction de nos syndicats
                    censés représenter les psychiatres.
 
 Alors que partout nous voyons des catégories sociales ou professionnelles
                    se mobiliser, rien de notre côté alors que le CNPsy n’a pas
                    été augmenté depuis bientôt 7 ans.
 
 Alors que nous, psychiatres libéraux, sommes ignorés dans
                    les rapports (ministériels ou commissions) ou leurs comptes-rendus
                    en ne nous citant pas, en ironisant sur notre prise en charge
                    de soit disant bleus à l’âme, aucune dénonciation dans les
                    grands médias, que quelques mots dans nos publications à diffusion
                    limitée.
 
 Quant à la position des syndicats de psychiatres face à la
                    télétransmission, à savoir retarder le plus longtemps possible
                    mais c’est la loi et nous devons donc nous y soumettre, elle
                    ne nous satisfait pas. C’est baisser les bras que de s’arrêter
                    à cela. Certes nous ne pouvons pas mettre en péril nos cabinets
                    par des amendes exorbitantes, mais cela ne signifie pas que
                    nous devons rester bâillonnés.
 Nous ne reviendrons pas sur le danger que représente la télétransmission
                    pour le secret médical : chaque informaticien moyen sait,
                    contrairement à ce qu’affirment les tenants de la télétransmission,
                    que derrière les ordinateurs, derrière la transmission des
                    données, il y a des programmes et que tout programme est piratable,
                    quelques que soient les barrières mises, barrières qui elles-mêmes
                    sont aussi des programmes. Nous ne reviendrons pas non plus
                    sur le fait qu’avec la télétransmission nous sommes rendus
                    responsables de l’acheminement des données alors que nous
                    n’en avons pas la maîtrise : ce n’est pas notre métier, encore
                    moins notre vocation.
 Nous voudrions insister sur l’effet néfaste de la télétransmission
                    dans la consultation et la prise en charge psychiatrique pour
                    de nombreux patients. Elle transforme la relation médecin-malade
                    en relation « auxiliaire de sécurité sociale-consommateur
                    déresponsabilisé ». Cette obligation contraignante de remplacer
                    « la feuille de soins » par un acte de télétransmission fait
                    du psychiatre, ipso facto et de surcroît, un opérateur administratif
                    et un agent d’exécution en passe de devenir fonctionnellement
                    un véritable « agent de sécurité sociale », impliqué comme
                    tel par ce nouvel acte qui s’immisce dans sa pratique et qui
                    modifie ainsi discrètement quelque peu le statut, la fonction
                    et le positionnement symbolique de sa place de praticien.
                    Nous devenons un « monsieur bons offices », l’exécutant fonctionnalisé
                    d’une prestation de service sociale d’un autre ordre, prestation
                    dont la Sécurité Sociale et les patients se délesteront désormais
                    sur nous médecins, ainsi enrôlés de force dans cette nouvelle
                    mission sociale tutélaire implicite : gérer partiellement
                    les affaires d’autrui !
 Il faut rappeler l’importance de la valeur symbolique que
                    peut revêtir dans certains cas l’acte de l’établissement d’une
                    feuille de soins, acte réalisé à la fin de la consultation
                    et qui s’accompagne du geste de la remise en mains propre
                    au patient de sa « feuille de soins » dûment remplie et signée
                    par le médecin et aussi remplie et signée par le patient lui-même
                    qui l’adresse à la «sécu». Nous n’insisterons jamais trop
                    à dire que dans un certain nombre de cas délester le patient
                    de l’acte personnel d’avoir à se faire rembourser lui-même
                    de ses frais de maladie en réalisant à sa place les opérations
                    simples qui lui permettent automatiquement d’obtenir vite
                    ce remboursement peut néanmoins venir conforter une tendance
                    insidieuse à la passivation dudit malade.
 Nous craignons donc que de telles mesures autoritaires ne
                    réduisent l’acte médical à un pur objet formel préventif de
                    consommation juridiquement conforme, d’où toute dimension
                    du Sujet en cause serait comme tel censurée, évacuée du champ
                    efficient spécifique à notre pratique de psychiatre. L’automatisation
                    qui déplace la responsabilité du paiement de l’acte thérapeutique
                    sur le psychiatre élude la question du transfert qu ‘elle
                    vient occulter alors que c’est une vraie question propre à
                    notre spécialité, et sur laquelle les pouvoirs publics imposent
                    un silence de mort. Cet utilitarisme gestionnaire technique
                    et technocratique instaure une vraie situation d’irresponsabilisation
                    qui favorise l’assistanat généralisé et la passivité.
 L’automatisation forcée, les transferts erratiques de responsabilité
                    et la non reconnaissance d’une part active dévolue au malade
                    dans sa possible participation personnelle au paiement de
                    ses propres soins, constituent pour un grand nombre de cas
                    une erreur irresponsabilisante par laquelle se perpétuera,
                    si l’on n’y veille, la méconnaissance de ce qui pourrait contribuer
                    à restituer au malade un réinvestissement de sa dynamique
                    vitale par le respect et la reconnaissance de sa place de
                    sujet.
 Sur le fond et à priori nous sommes tout à fait partisans
                    de la modernisation et de la bonne utilisation des nouvelles
                    technologies mais en complet désaccord avec les modalités
                    qui nous sont actuellement imposées. Cette opposition n’est
                    pas liée à un point de vue rétrograde ou passéiste mais au
                    désir d’une véritable modernité qui utilise les progrès techniques
                    pour concilier d’une façon harmonieuse les points de vue et
                    les exigences de l’ensemble des parties concernées, en particulier
                    le malade, le médecin et l’administration et non pour satisfaire
                    uniquement cette dernière, c’est à dire une seule des parties.
                    Si les instances décisionnelles avaient élaboré leur projet
                    dans la concertation avant d’imposer un tel système, nous
                    aurions certainement pu aboutir à un système satisfaisant,
                    comme semble-t-il en Espagne, où le médecin inscrit électroniquement
                    sur la carte du patient la consultation mais où c’est le patient
                    qui fait lui même la télétransmission à l’aide des nombreuses
                    bornes présentes dans les services publics.
 
 Bien cordialement
 
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