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Coordination des Psychiatres de Basse Normandie


 

Contribution à une évaluation des besoins en psychiatrie libérale à l’usage des pouvoirs publics



Introduction :

Les médecins français, et toute personne qui a été confrontée un jour pour elle-même ou pour un proche à la souffrance psychique, s’inquiètent de l’évolution de la psychiatrie libérale dans leur pays.
Pour situer l’ampleur du sujet et les risques en terme de santé publique qu’il y aurait à négliger cette discipline, rappelons pour exemple qu’en 2000, 1,8 millions de personnes ont consulté un psychiatre libéral, soit 15 millions d’actes.
Cette inquiétude est alimentée par :
- l’évolution de la psychiatrie libérale elle-même,
- l’évolution de la médecine libérale en général,
- l’évolution de la psychiatrie en général,
- l’évolution de la médecine tout court.

L’évolution de la psychiatrie libérale :

Au vingtième siècle, la psychiatrie aura été révolutionnée par la quasi-disparition de la paralysie générale, par l’apport de la psychanalyse, par la découverte des neuroleptiques, puis par le développement de la psychiatrie libérale depuis 30 ans.
L’exercice libéral a fait les preuves de ses apports et de son efficacité en offrant une psychiatrie compétente, de proximité, d’accès libre, confidentiel et offert à tous.
Il n’y a plus que dans certains rapports officiels que l’on peut trouver les idées reçues selon lesquelles le psychiatre libéral ne recevrait que des personnes fortunées sans réelle pathologie psychiatrique. Au lieu de cela, l’exercice psychiatrique libéral a répondu à un véritable besoin pour faciliter l’accès au soin non seulement de sujets réticents à reconnaître l’ampleur de leurs troubles par honte ou par pudeur, mais aussi pour faciliter l’accès au soin de sujets évitant les circuits institutionnels et sociaux déjà ressentis comme trop persécuteurs pour eux.
Progressivement, la psychiatrie libérale a dû faire face à une charge de travail toujours plus lourde, en qualité et en quantité, en raison de son succès qui a démystifié la consultation d’un psychiatre, mais aussi en raison d’une politique désastreuse de fermeture de lits d’hospitalisation (80.000 en vingt ans, dont 16.000 les six dernières années ; il n’en reste que 58.000) qui n’ont été qu’insuffisamment compensés par des moyens ambulatoires ou par des structures intermédiaires. Cette charge s’est trouvée accentuée massivement par la réduction du temps de travail à l’hôpital, entraînant un surcroît de consultations et une nécessité de fournir une alternative à l’hospitalisation.
On doit à ce sujet dénoncer l’insuffisance et même l’absence dans certaines régions (avec les coûts de transports par exemple que cela induit pour faire hospitaliser ailleurs) de structures d’hospitalisation privées.
Les psychiatres libéraux ont aussi à faire face aux effets de la démédicalisation et de la dépsychiatrisation du médico-social : ces institutions ne sont plus en mesure d’assurer les soins de la population qu’elle a en charge.
Les psychiatres libéraux ne peuvent plus faire face à toute cette charge de travail et n’ont d’autre solution que d’imposer des délais de prise de rendez-vous, que ce soit pour le premier rendez-vous ou pour les rendez-vous suivants.
Ils le pourront de moins en moins, car la démographie médicale commence à s’infléchir dramatiquement. De 12.500 actuellement (5.500 libéraux), la population des psychiatres va chuter à 7.500 en 2020.
Cette charge de travail grandissante ne peut pas être imputée à la répartition des psychiatres entre les trois formes d’exercice (publique, privée et médico-associative) car les mêmes plaintes en émanent.


L’évolution de la médecine libérale en général :

A l’heure où tous les médecins libéraux s’inquiètent de l’avenir de leur profession, car comment être confiants quand les honoraires sont bloqués depuis plus de 8 ans et les actes techniques plus encore, et quand leur indépendance est compromise par une emprise croissante des assureurs, les psychiatres tiennent à rappeler ce que l’exercice libéral apporte d’inestimable dans leurs soins :
- indépendance, en particulier dans les choix thérapeutiques qui ne dépendent que du respect de la déontologie, de l’intérêt du patient, des compétences du psychiatre, corrélativement évidemment à l’indépendance économique qui préserve le praticien des pressions extérieures,
- proximité dans tous les sens du terme, géographique et humaine,
- personnalisation de la relation thérapeutique et libre choix du psychiatre par le patient,
- confidentialité, qui impose par ailleurs de défendre l’accès libre au psychiatre, la non cotation des actes en psychiatrie, et qui explique la méfiance des psychiatres envers une obligation de télétransmettre en l’absence de garanties.
- meilleures relations avec leurs confrères médecins généraliste et d’autres spécialités, ce qui favorisent la qualité de l’ensemble des soins médicaux.
Il est inutile de rappeler combien tous nos compatriotes sont attachés à ce mode d’exercice dans lequel ils ont encore confiance.

L’évolution de la psychiatrie en général :

On dit la psychiatrie en crise. Elle est accusée de s’occuper de tout et de n’importe quoi, de développer les demandes en tout sens, de réclamer toujours plus de moyens.
Il y a effectivement beaucoup de psychiatres en France et une demande de soins à laquelle ils ne suffisent plus. Une vue purement gestionnaire du problème comporte le risque de conclure hâtivement à une psychiatrisation envahissante ou à des demandes abusives. On entend déjà énoncer des solutions expéditives comme le « transfert des compétences » qui cantonnerait le psychiatre à un rôle de prescripteur, ou « l’éducation des assurés ».
Si les psychiatres ne mésestiment pas l’aspect économique des problèmes, ils se soucient en premier lieu, face à l’évolution des demandes, de conserver leur identité et leur éthique, seuls garants de la qualité et du sens de leurs soins.
Il a fallu des siècles pour que dans les sociétés occidentales la folie retrouve une dignité, après avoir été réduite à une déviance scandaleuse, insupportable pour la société. Si la psychiatrie a donné au sujet souffrant psychiquement la dignité du malade, il lui a fallu ensuite défendre ses patients contre l’ostracisme dont ils faisaient l’objet. De l’asile qui enferme à l’asile qui protège, il a fallu avec Pinel rompre les chaînes de la peur de la folie.
La psychiatrie moderne trouve toute son efficience et sa grandeur à avoir fait reposer le soin psychiatrique, avec l’aide bien sûr de tout l’arsenal thérapeutique, institutionnel, chimiothérapique, les compétences des soignants, le savoir théorique, l’expérience personnelle et culturelle du soignant, etc, sur le dialogue renoué avec le sujet qui souffre, dialogue qui implique totalement le soignant.
Son champ d’intervention ne concerne donc pas un organe dont la prise en charge pourrait être technicisée ou limitée à une médication. Le psychisme concerne tout le sujet dans sa globalité et sa dynamique de vie. La pathologie du psychisme est mouvante, complexe, et comporte toujours une part relationnelle. Elle ne peut pas être comparée au schéma habituel de la maladie.
Il est donc impossible de quantifier, de codifier, de gérer les troubles mentaux et leurs traitements dont l’appréciation impose la compétence des psychiatres. 
Le psychiatre, de par sa formation, de par son expérience, de par sa culture psychiatrique, de par son éthique particulière, est fondé à assister toute personne en danger de détérioration psychique.
Les psychiatres ont à résister aux pressions modernes, des tutelles ou de la société, qui tendent à vouloir, pas seulement pour des motifs économiques, tout machiniser ou tout réduire à du consommable.
Le soin psychique étant essentiellement relationnel, perdrait son essence à être ainsi vidé de sa dimension humaine.
La dimension d’écoute qui caractérise le soin psychique, dimension reconnue par la population, fait du psychiatre un veilleur de la société et attire à lui toute sorte de personnes en souffrance par manque de repères, mal très répandu dans nos sociétés occidentales.
Contrairement aux charlatans, aux psychothérapeutes de tout poil et aux sectes qui font fortune en répondant à ces demandes, les psychiatres font un énorme travail de diagnostic et d’orientation, pour faire la part entre les personnes qui nécessitent d’urgence des soins, et celles qui ont juste besoin de retrouver leur capacité de penser pour éviter l’aliénation.

L’évolution de la médecine tout court :

On n’entend plus parler que d’argent au sujet de la médecine. Les progrès techniques époustouflants et ruineux, les exigences de rentabilité, la marchandisation des désirs, les vues politiques à court terme, la technocratisation, ont envahi la médecine comme toute la société.
Les médecins n’ont pourtant pas perdu leurs idéaux qui se traduit par leur attachement à leur déontologie. Leurs tutelles ont voulu les réduire à des chaînons coûteux et des profiteurs du système. Une nouvelle terminologie a même été imposée remplaçant la médecine par la santé, les médecins par les professionnels de santé.
Fallait-il cela pour que les médecins se réveillent et se retrouvent confraternellement autour de la défense de leur déontologie ?

Pour une psychiatrie d’avenir

Les psychiatres invitent les décideurs à se départir du discours gestionnaire politiquement correct qui n’est pourtant même pas défendable économiquement. Ils avertissent que des économies de bout de chandelle auront un coût de santé public énorme et provoqueront des catastrophes humaines.
Des psychiatres, des médecins, doivent continuer à être formés et à recevoir l’héritage culturel, humain, de la tradition médicale humaniste, qui permettra de préserver la médecine et sa déontologie. 
Il serait grave de transférer leurs compétences à du personnel incompétent.
Des efforts doivent être entrepris d’urgence pour pallier à la chute démographique des psychiatres.
Tous les modes d’exercice de la psychiatrie doivent être encouragés car complémentaires, en y garantissant pour le médecin le respect de sa déontologie : seront garantis son indépendance (clinique, thérapeutique, économique, contractuelle, etc), le libre choix de son mode d’exercice, le libre choix du médecin par le patient, la confidentialité totale de ses actes, les moyens dont il doit disposer.
Comme les troubles mentaux s’accompagnent fréquemment de grandes difficultés socio-économiques, et comme leur prise en charge présente souvent peu de « rentabilité », il est indispensable qu’un système de solidarité nationale garantisse des soins de qualité à tous les patients des psychiatres. De ce point de vue, les psychiatres sont très inquiets vis-à-vis des projets comme ceux de certaines assurances privées prenant en compte principalement le rendement financier.

Ainsi, pour la psychiatrie libérale :

- ce mode d’exercice doit être ouvert librement,
- la démographie doit reprendre,
- la consultation psychiatrique doit rester ce qu’elle est : colloque singulier, confidentiel, avec libre choix du psychiatre par le patient, l’accès libre facilité, l’indépendance thérapeutique. Cette consultation doit rester un acte unique, spécifique, incodifiable, psychothérapeutique dans son essence. Elle doit pouvoir durer le temps qu’il faut pour un soin reposant sur la parole et la relation (temps moyen actuellement estimé à 35 minutes).
- la consultation psychiatrique doit être rémunérée à sa juste valeur, permettant l’indépendance du praticien, lui permettant de répondre à l’ensemble de ses charges, lui permettant de disposer des temps d’élaboration personnelle, de supervision, de formation, d’échange avec ses pairs, et bien sûr de repos. Si la psychiatrie libérale n’a pas à être assimilée au service public, elle doit cependant être reconnue comme contribuant pour une part très importante et indispensable au service public rendu.
- le psychiatre doit préserver son indépendance en ne contractant pas de lien aliénant avec qui que ce soit : caisses d’assurance, industrie pharmaceutique, assureurs, etc.
- il doit donc pouvoir se conventionner sans contrainte avec les Caisses d’assurance, ce qui impose la réévaluation du tarif d’autorité.
- il doit aussi pouvoir s’assurer en toute indépendance. Les Caisses ne doivent donc pas intervenir dans sa Responsabilité Civile Professionnelle.
- les patients doivent pouvoir librement choisir leur psychiatre : de ce point de vue aussi, le tarif d’autorité doit être réévalué.
- les patients doivent pouvoir accéder directement au psychiatre. De ce point de vue, les remboursements des soins ne doivent pas dépendre du passage par un généraliste par exemple.
- le psychiatre doit garantir la confidentialité de ce qui lui est confié. A ce titre, il doit pouvoir refuser de télétransmettre des données médicales.
- sa formation, obligation déontologique, doit être indépendante et gérée par lui-même et la profession. Il devrait pouvoir la financer lui-même. En aucun cas, un financement extérieur ne doit nuire à son indépendance. Cette formation ne doit pas être conventionnelle.
- la permanence des soins est du devoir de santé publique et n’a pas à être conventionnelle. Des moyens suffisants doivent permettre d’équiper le service public pour y répondre, ou aussi pour inciter les médecins privés à y participer en toute liberté, ce qu’ils sont déjà nombreux à faire.
- le psychiatre doit pouvoir ne souffrir d’aucune discrimination à son égard. De ce point de vue, un secteur unique ou la liberté totale de choisir son secteur à n’importe quel moment, doit mettre un terme aux discriminations existantes qui font peser un risque sur la qualité de son exercice.
- une liberté tarifaire doit pouvoir permettre au psychiatre de répondre à certaines exigences particulières, locales, thérapeutiques, aux nécessité de responsabiliser certaines demandes, et pour permettre de faire faire des économies à la collectivité sur des critères médicaux.
- la nécessaire responsabilisation des demandeurs de soins fait que les psychiatres, pour des raisons thérapeutiques, sont fermement opposés à la généralisation du tiers-payant. 
- enfin, les psychiatres libéraux ont besoin de pouvoir coordonner leur action avec les autres moyens sanitaires. Ils sont donc désireux que les besoins de leurs collègues publics et médico-associatifs soient satisfaits, mais aussi ceux de tous leurs collègues médecins.

Les engagements des psychiatres libéraux :

- Les psychiatres s’engagent à apporter des soins de qualité, dans le respect de leur déontologie, de leur éthique, de leur tradition, de leur formation et de leur expérience.
- Cette qualité repose particulièrement sur la possibilité de consacrer du temps à leur formation continue, qui doit consister essentiellement en échanges entre pairs.
- Ils sont demandeurs de toute mesure visant à favoriser des économies de santé et de participer à tout travaux qui auraient cette visée. A ce sujet, ils rappellent qu’ils sont pour la plupart des prescripteurs éclairés et économes, tant en médicament qu’en arrêt de travail. Ils souhaitent pouvoir par le biais de la formation continue aider leurs collègues médecins généralistes à en faire de même. Ils contribuent aussi largement à éviter des hospitalisations.
Ils sont favorables au développement de la coordination des soins s’ils peuvent prendre part aux élaborations y visant.

Conclusion :

Les psychiatres libéraux attendent des mesures urgentes garantissant leur pratique à la hauteur de l’enthousiasme qu’ils souhaitent conserver pour leur métier.


Document élaboré par les membres de la Coordination des psychiatres de Basse-Normandie et du Collège FMC des psychiatres de Basse-Normandie

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