| THÉRAPIES
                            DES DYSFONCTIONS SEXUELLES   Il
                            y a 25 ans, avec son premier congrès mondial, la sexologie
                            nous faisait découvrir et vivre l'expérience d'un
                           melting pot " de pratiques, d'idées, de théories,
                            un mélange dynamisant et enrichissant dans le respect
                            et l'acceptation des autres.
 Ensuite ce fut un long chemin pour que la sexologie
                            soit reconnue dans son sérieux et ne pas être assimilée
                            à quelques grivoiseries sulfureuses. Et maintenant
                            semble intervenir la "pensée unique " : pour être
                            reconnu il faut que ce soit scientifique et pour que
                            ce soit scientifique il faut que ce soit quantifié,
                            évalué, chiffré. Comme si ce qui n'est pas quantifiable
                            ne peut être reconnu : il faut que cela réponde aux
                            règles de la statistique et de l'observation quantifiable
                            mathématique.
 
 Sommes-nous donc revenu au temps de Galilée qui disait,
                            affirmait, mais ne prouvait pas aux yeux des gens
                            de son époque, que la terre tournait autour du soleil
                            ? En ce temps là la pensée unique n'était pas les
                            mathématiques, les sciences dites exactes, mais la
                            Bible et les écrits des pairs de l'Église : on lui
                            demandait de prouver en fonction de ces données là
                            et non en fonction des mathématiques. Il n'y réussit
                            pas car on ne peut pas prouver quelque chose d'un
                            champ avec les outils d'un autre champ.
 
 Si l'homme est neuronal, il n'est pas que neuronal,
                            s'il a des comportements il n'est pas que comportements.
                            L'homme est aussi subjectif. La subjectivité est un
                            facteur qu'on cherche à éliminer pour faire scientifique
                            alors que cette subjectivité fait partie de la nature
                            humaine et donc si on s'intéresse à l'homme on ne
                            peut et ne doit pas faire l'impasse sur ce facteur.
                            La sexologie s'intéresse à l'homme et non pas uniquement
                            à un organe ou à des fonctions. Cette subjectivité,
                            en relation suivant les uns ou les autres à l'inconscient,
                            l'imaginaire, le symbolique ou à des souvenirs, ne
                            peut pas être investiguée avec les outils de champs
                            qui l'excluent au nom de l'objectivité (et qui donc
                            de ce fait même la reconnaissent). C'est une manipulation
                            intellectuelle malhonnête que de demander à prouver
                            quelque chose de la subjectivité en utilisant des
                            grilles qui objectivent autre chose de l'ordre des
                            comportements objectivables. Un même comportement
                            peut avoir des sens différents, être sous tendu par
                            des processus intra psychiques variables selon les
                            personnes. D'ailleurs en sexologie nous savons bien
                            qu'un symptôme n'est pas univoque et que pour être
                            sexologue il faut être "polyglotte " c'est à dire
                            pouvoir appréhender la sexologie à partir d'éclairages
                            différents et que pour être sexotherapeute il faut
                            être " polytechnicien " : j'y reviendrai un peu plus
                            loin.
 
 Si nous voulons faire des investigations de la subjectivité,
                            cela ne peut se faire que dans le champ de la subjectivité.
                            Subjectivité des sexologues ou sexotherapeutes à travers
                            leurs écrits et la conjonction de leurs dires peut
                            nous donner une idée de la fonction, du sens, de la
                            dynamique, des réaménagements intra psychiques de
                            certains aspects de cette subjectivité, mais d'autres
                            moyens d'investigations sont peut-être à définir.
                            Subjectivité des patients et là aussi il nous faut
                            réfléchir et travailler pour mettre en place des moyens
                            d'investigations spécifiques tels que ceux que Alice
                            Dazord essaie de construire pour évaluer les aspects
                            psychothérapiques des prises en charge. De toute façon
                            objectiver la subjectivité ne peut être qu'une gageure
                            paradoxale. On ne peut avoir de cette subjectivité
                            qu'une approche où la subtilité importe davantage
                            que le pragmatisme opératoire ; et si on veut faire
                            des études évaluatives cela nécessite des questionnaires
                            autorisant des réponses ouvertes. On ne peut pas utiliser
                            mécaniquement des méthodologies utilisées pour les
                            essais thérapeutiques ou les enquêtes épidémiologiques
                            : il faut respecter la spécificité de ce qu'on fait,
                            c'est à dire chercher à réduire, soulager, voir supprimer
                            la souffrance d'une personne qui a un symptôme sexuel.
 Nous travaillons donc avec une personne et non avec
                            un pénis, un vagin, une artère ou autre chose et on
                            ne peut que déplorer et s'alarmer de la dérive qui
                            après la psychiatrie semble submerger la sexologie.
                            En effet il serait déplorable que à son tour la sexologie
                            soit excessivement soumise aux influences nord-américaines
                            qui privilégient la normalisation comportementale
                            par rapport au fonctionnement psychique des patients,
                            les protocoles thérapeutiques standardisés au détriment
                            de soins personnalisés et les apports des neurosciences
                            plutôt que la recherche clinique.
 
 Le diagnostic et le traitement en sexologie ne peuvent
                            donc méconnaître la complexité de son objet et doivent
                            prendre en compte plusieurs dimensions :
 - dimension structurale qui replace les symptômes
                            dans la compréhension du fonctionnement psychique
                            de la personne, qui en montre l'effet dynamique et
                            ses conséquences positives ou négatives ;
 - dimension corporelle qui doit faire la part entre
                            l'expression somatique d'une difficulté et une pathologie
                            somatique ;
 - dimension environnementale qui repère la place et
                            la fonction de la personne dans la société, dans la
                            famille et dans son couple et en évalue les influences
                            et l'organisation du fonctionnement.
 
 Ainsi la sexologie est multidirectionnelle et ne se
                            résume pas à l'observation et au chiffrage des comportements
                            ou des cognitions. La sexologie travaille sur plusieurs
                            niveaux pour en repérer leurs articulations et surtout
                            pour déterminer ce qu'elles offrent comme point d'appui
                            d'un abord thérapeutique.
 
 En 1974 Robert Gellman illustrait la sexologie par
                            une fleur. Chaque pétale représentait une discipline
                            des domaines médicaux, sociaux, psychologiques et
                            la sexologie se situait à l'intersection de ces pétales.
 
 Ce schéma est toujours valable : pour être sexotherapeute
                            il faut être " polytechnicien ", c'est à dire qu'il
                            faut des connaissances dans des domaines médicaux,
                            sociaux et psychologiques et avoir en sa possession
                            plusieurs techniques pour prendre ainsi en charge
                            un patient qui souffre d'un symptôme sexuel. En face
                            d'un symptôme sexuel, le chirurgien qui ne propose
                            que prothèse, ligatures de veines ou injections intracaverneuses,
                            le psychanalyste qui ne propose que de faire une analyse,
                            le somatotherapeute qui ne propose que des groupes
                            de somatotherapie ne sont pas des des sexotherapeutes
                            : en restant dans leur champ ils restent chirurgien,
                            psychanalyste ou somatotherapeute. Cela ne veut pas
                            dire qu'ils n'apportent rien à la personne qui a une
                            plainte sexuelle, ni même à la sexologie en développant
                            parfois des recherches approfondies dans leur domaine
                            que le sexotherapeute ne doit pas ignorer et ils peuvent
                            être et sont des collaborateurs idoines pour le sexotherapeute
                            qui, s'il est " polytechnicien ", ne peut maîtriser
                            toutes les techniques et doit connaître ses limites.
 
 Le premier temps de la sexotherapie consiste à repérer
                            la demande du Sujet sans oublier de faire un diagnostic
                            sur une composante organique présente ou absente.
                            En d'autres termes : la demande du patient s'étaie-t-elle
                            sur quelque chose d'organique ou ne reflète-t-elle
                            que son conflit intra-psychique ?
 
 S'il s'agit d'une cause organique le bilan et les
                            techniques organiques faites par le sexotherapeute
                            ou un collègue organicien ne doivent pas faire oublier
                            la répercussion psychologique d'une difficulté sexuelle
                            souvent vécue comme une blessure narcissique et pouvant
                            en réactiver d'autres plus anciennes. La prise en
                            charge organique ne doit pas hypothéquer la dimension
                            psychique de la souffrance. En l'oubliant on voit
                            des patients guéris organiquement mais qui souffrent
                            toujours de difficultés sexuelles, comme ces patients
                            qui ont des prothèses mais qui ne s'en servent pas
                            ou qui furent opérés pour des " fuites veineuses "
                            mais qui perdent ensuite toujours l'érection au moment
                            de la pénétration.
 
 S'il s'agit d'une cause psychique ou de la dimension
                            psychique d'une cause organique, se pose la question
                            de la proposition de la prise en charge thérapeutique
                            par le sexotherapeute et le patient . Quelle technique
                            utiliser en fonction du symptôme, de la personnalité
                            ? Peut-on utiliser plusieurs techniques à la fois
                            ou alternativement ? Alors dans quel cadre se situe-t-on
                            ? Peut-on mélanger les cadres ?
 
 Je pense qu'il convient de rappeler d'abord que la
                            théorie n'est pas thérapeutique. C'est le cadre thérapeutique
                            qui conditionne le processus thérapeutique. Ce cadre
                            ne s'élabore pas n'importe comment, il est sous tendu
                            par la théorie. La théorie sert donc à élaborer le
                            cadre qui sera thérapeutique. Il devra être cohérent,
                            stable, fixe, défini tant pour le thérapeute que pour
                            le patient. En cela on ne peut pas proposer un pot
                            pourri des dernières techniques à la mode sans autre
                            ambition que d'être dans le coup, ni élaborer un cadre
                            thérapeutique à partir d'un melting-pot de théories.
                            La cohérence et la fixité d'un cadre tient de la cohérence
                            et de l'unicité de la théorie à laquelle il se réfère.
                            On ne peut donc pas se servir de plusieurs théories
                            qui si, elles sont plusieurs, sont donc divergentes
                            en certains points.
 
 Suivant les personnes, certains cadres seront plus
                            à même de permettre le processus thérapeutique. Chez
                            une personne de structure névrotique, possédant une
                            certaine introspection, ayant une capacité à se remettre
                            en cause, à verbaliser, un cadre psychothérapique
                            analytique pourra être indiqué. Chez une personne
                            ne verbalisant pas, avec pensée opératoire, une alexithymie,
                            un abord corporel sera peut-être plus souhaitable.
                            Avec un pervers une thérapie analytique ne sera pas
                            proposée et se posera alors la question d'une orientation
                            vers une thérapie comportementale par exemple. Tout
                            ceci n'est pas exhaustif mais montre l'importance
                            de repérer la structure de la personne ainsi que ses
                            capacités d'implication et d'élaboration avant de
                            proposer un cadre.
 
 Peut-on passer d'un cadre à un autre dans le temps
                            avec le même thérapeute ? Cela me semble possible
                            dans certaines conditions : le nouveau cadre doit
                            être redéfini et cela ne peut se faire que dans un
                            certain sens. Ainsi on peut passer d'une thérapie
                            à médiation corporelle à une thérapie verbale : la
                            thérapie à médiation corporelle aura permis une mise
                            en route de certains processus qui ne pourront s'élaborer
                            que dans un travail plus profond que permet une psychothérapie
                            analytique. La thérapie à médiation corporelle peut
                            permettre ainsi à la personne d'accéder à une demande
                            de psychothérapie de type analytique. C'est un " itinéraire
                            thérapeutique " que l'on peut employer dans des inhibitions
                            névrotiques importantes avec somatisations de l'anxiété
                            ou dans les alexithymies. La thérapie à médiation
                            corporelle ne se fera pas alors dans une optique comportementale
                            mais plutôt dans l'optique par exemple de relaxation
                            à inductions multiples (relaxation analytique de Michel
                            Sapir). En revanche, d'après des expériences rapportées
                            ou rencontrées, le passage d'une thérapie verbale
                            à une thérapie corporelle semble plus difficile, délicate
                            et même dangereuse car pouvant provoquer des décompensations
                            parfois même sur un mode délirant, surtout chez les
                            personnes à structure psychotique ou border line.
                            On peut le comprendre par le fait que la situation
                            transférentielle dans la thérapie verbale bascule
                            dans ce qui peut être vécu comme un passage à l'acte
                            de la part du sexothérapeute lors du passage à la
                            thérapie à médiation corporelle.
 
 Lorsque une personne vient en consultation chez un
                            sexotherapeute, donc un polytechnicien comme cela
                            a été défini tout à l'heure, il ne vient pas voir
                            un chirurgien, un psychanalyste ou un somatotherapeute.
                            Le sexotherapeute doit donc repérer la demande du
                            Sujet mais aussi repérer l'existence ou non d'une
                            organicité ainsi que la structure et les possibilités
                            d'élaboration ou non de la personne afin de l'orienter,
                            si ce n'est pas dans ses compétences, ou de définir
                            avec lui le cadre thérapeutique qui conditionne le
                            processus thérapeutique. Il est donc important de
                            prendre son temps afin d'éviter d'être aveuglé par
                            ses propres options et passer à côté de la souffrance
                            psychique ou d'une cause organique mais aussi pour
                            ne pas proposer un cadre inadéquat sans avoir permis
                            au patient de construire sa demande et sans avoir
                            repérer sa structure, son fonctionnement. Alors, et
                            seulement alors, nous pouvons espérer un processus
                            thérapeutique, avec modestie car nous ne pouvons pas
                            oublier que le travail, les résultats appartiennent
                            au patient et non au sexotherapeute quelque soit sa
                            culture, ses compétences et ses techniques multiples.
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