QUELS PLAISIRS, POUR QUI
ET POUR QUEL COUPLE ?

 

Depuis des années que nous assistons ou participons à des congrès de sexologie, nous entendons souvent relater des cas intéressants avec des réussites, des guérisons fréquentes. Au départ cela me posait quelques problèmes par rapport à ma pratique. En effet j’étais bien loin d’obtenir de si beaux résultats. Puis je me suis aperçu que ces si beaux résultats correspondaient à des sélections non précisées, que la définition du ou des symptômes était imprécise, variable, que les personnes abandonnant le traitement n’étaient pas comptabilisées, alors que de mon côté je partais du «  tout venant ». Je ne suis certainement pas le seul à avoir fait cette constatation puisque maintenant des précisions sont demandées et apportées de plus en plus fréquemment sur la définition du symptôme traité, sur la population étudiée, sur les critères de sélection, sur le taux d’abandon…

Mais des échecs demeurent et je pense qu’il peut être très enrichissant de s’intéresser à eux. Aussi aujourd’hui je vais commencer par relater deux cas cliniques qui sont à certains niveaux des échecs alors qu’à d’autres niveaux ils font émerger un certain plaisir.

Dans ces deux cas vous pourrez entre autre voir une non maîtrise de l’émergence, ce qui ne permet pas de perlaboration, ou bien que certaines choses n’ont pas été repérées au cours de la thérapie. Mais ce n’est pas là le but de ces propos qui ne sont pas une étude de cas ni une analyse de la relation et du processus thérapeutique. Cela se fait dans un autre lieu. Le but de ces propos est  de repérer que le plaisir, la satisfaction dans le couple conjugal ou le couple patient/thérapeute peuvent être différents pour l’un et l’autre et de voir où cela peut nous mener.

Le premier cas est celui du couple M. Monsieur M. 35 ans, marié depuis 14 ans qui vient avec sa femme. Il consulte pour impuissance depuis 9 mois avec éjaculation sur verge molle et d’après lui disparition des érections matinales. En fait l’érection peut être provoquée par la masturbation et maintenue longtemps, mais elle disparaît au moment de la pénétration. Sa plainte se résume par : « ça me fait mal car je n’arrive pas à contenter ma femme ». En fait sa femme a toujours présenté une anorgasmie coïtale et il le lui reprochait depuis longtemps. Cette impuissance est survenue après que sa femme ait passé une hystérographie, « mais je ne vois pas le rapport » dit-il. En fait il n’a jamais accepté que sa femme soit examinée par un médecin en dehors de sa présence, même pour un rhume bénin, or pour la première fois on lui a demandé de sortir. Une fois la porte fermée il s’est senti ridicule, bafoué, laissé pour compte. « C’est drôle, dit-il, avant j’étais un obsédé sexuel, depuis je ne le suis plus ». Je lui demande ce que recouvre pour lui le fait d’être un obsédé sexuel : c’est d’avoir durant les rapports des fantasmes dans lesquels il imagine sa femme avec d’autres hommes. Du point de vue constitution du couple, sa femme est le double de sa mère avec laquelle il poursuit une relation œdipienne non « résolue ».

Ainsi pour pouvoir faire l’amour, il lui fallait écarter cette femme mère pour la remplacer fantasmatiquement  en femme putain. La réalisation imaginaire de ce fantasme derrière la porte du radiologue rend ce fantasme caduc, inopérant.

La mise en évidence de ce processus s’est faite en 2 séances, donc très rapidement. Satisfaction, plaisir intellectuel, esthétique chez le thérapeute, en l’occurrence moi, devant un cas intéressant permettant une belle théorisation . Quant au couple, il n’est jamais revenu, mais par son médecin traitant j’ai appris que les choses ne s’étaient pas arrangées, qu’il y avait insatisfaction.

Le deuxième cas est celui de Madame L. 25 ans, adressée par une gynécologue qu’elle avait consultée pour vaginisme. La démarche était surtout motivée par le désir d’avoir des enfants. Le désir de rapports ne semblait pas très fort. Déjà 5 ans de mariage. Les essais se font rares et les premiers essais de rapports des deux partenaires, à l’un comme à l’autre, remontent à 15 jours après leur mariage. Le traitement a duré 6 mois à raison d’une séance par semaine. Il s’est composé d’entretiens à visée psychothérapique avec associé au début de la relaxation. A la fin de ce traitement Madame L. ne prenait plus d ‘anxiolytiques (auparavant elle prenait 2 à 3 comprimés d’urbanyl 10 par jour), se sentait bien dans sa peau, les rapports étaient possibles et très satisfaisants puisqu’elle avait des orgasmes vaginaux. Mais de mon côté il y avait insatisfaction car durant 6 mois je n’ai rien entendu si ce n ‘est  son contentement de se sentir de mieux en mieux. La seule chose que j’ai entendue est « c’est plus facile de faire l’amour que de vivre 5 ans ensemble ».

Ainsi par ces deux exemples, nous voyons que la satisfaction, que le plaisir peuvent être différents pour le consultant et le thérapeute. Le patient peut rechercher la satisfaction de la pulsion sexuelle. Le thérapeute peut rechercher un plaisir tout autre : intellectuel, esthétique. Cela renvoie à une double question fondamentale que l’on devrait se poser lors de toute thérapie sexuelle : de quel plaisir parle-t-on et du plaisir de qui est-il question ? Nous allons commencer par aborder le premier aspect de cette question : à savoir de quel plaisir parle-t-on ? Ou plus exactement qu’en est-il de ces plaisirs différents appréhendés dans nos deux exemples.

En effet, lorsqu’on se réfère à Freud nous voyons que la satisfaction sexuelle éprouvée lors du rapport sexuel sert de modèle à tout plaisir. Le plaisir sexuel correspond à la décharge d’une excitation sexuelle provoquée par la stimulation d’une zone érogène.

Il y a une pulsion sexuelle ou libido. Elle prend sa source au niveau du « ça » et elle se manifeste au niveau du moi de façon plus ou moins travestie. L’organisme est dans un état de tension qui est source de pulsion et la pulsion a pour but de supprimer l’état de tension par une décharge directe et immédiate. Cette décharge est habituellement inhibée par le surmoi qui dérive la libido vers des buts non sexuels, socialement valorisés. C’est ce qu’on appelle la sublimation.

Dès sa naissance l’individu évite ce qui serait cause du déplaisir, pour rechercher ce qui lui fait plaisir. C’est ce que Freud appelle « principe de plaisir ». A la suite d’expériences malheureuses, l’individu va peu à peu renoncer à une satisfaction immédiate et va ainsi différer le plaisir en ne prenant plus le chemin le plus court mais en acceptant de faire des détours. Ainsi le principe de réalité s’ajoute au principe de plaisir sans le supprimer.

Lacan différencie dans la vie sexuelle 3 plans correspondant aux 3 niveaux de réalité (le réel, l’imaginaire et le symbolique) que nous allons simplifier pour cet exposé.

Sur le plan du réel, il place la jouissance qui est un plaisir organique et qui correspond à l’orgasme avec perte momentanée du moi et de la conscience (la petite mort apparaît ainsi comme un terme bien adapté).

Au niveau de l’imaginaire se trouve le plaisir érotique. Il est d’essence narcissique lié à des fantasmes provoqués par les caresses de l’autre ou de soi. Il n’occasionne pas de perte de contrôle, il reste superficiel.

Enfin, au niveau du symbolique, se situe l’amour qui correspond à la sublimation de Freud. C’est un plaisir partagé qui se manifeste par les actes et les gestes, mais par dessus tout par la parole.

Lacan distingue la jouissance phallique d’essence masculine et une jouissance plus féminine qu’il rapproche de l’extase des mystiques. Ce serait quelque chose de l’ordre de l’au-delà de la réalité de tous les jours, une accession à la dimension, symbolique de l’existence. L’homme ne peut l’atteindre qu’avec une femme, la masturbation ne lui permettant  que d’obtenir une jouissance phallique. Cette jouissance plus féminine renvoie au plaisir fusionnel de l’enfant avec sa mère avant l’interdit de l’inceste, interdit qui sera plus tranché entre le fils et sa mère qu’entre la fille et sa mère. Ainsi M. Schneider conçoit le plaisir comme une ouverture sur l’autre avec suppression momentanée des frontières individuelles. Le plaisir n’est pas lié à une décharge de tension mais au réveil d’une sensibilité endormie. Pour Michèle Montrelay, cette jouissance plus féminine serait un équivalent de relation incestueuse avec la mère. Le refoulement serait alors suspendu. Elle se manifesterait comme un élan mystique, comme un mouvement vers un idéal jamais satisfait, comme une recherche insatiable d’un absolu qui ne peut aboutir. L’homme qui ne peut aller au delà de la jouissance phallique par lui même demande à la femme de le conduire vers cet inconnu. La femme est donc une médiatrice, l’homme lui demande  de lui donner ce qu’elle représente pour lui mais qu’elle n’a pas : l’amour qui, pour reprendre Lacan, est le don de ce qu’on n’a pas.

Ainsi à travers les auteurs cités et par nos exemples, nous voyons qu’il existe certainement deux formes de plaisir : l’une plus masculine, plus conquérante apportée par la femme putain dans les 3 niveaux de  réalité : sur le plan du réel par la jouissance ; sur la plan de l’imaginaire par le plaisir érotique provoqué dans notre exemple par le fantasme de la femme putain ce qui permet à monsieur M de se déculpabiliser en ne se mettant pas en scène (c’est elle et les autres hommes, pas monsieur M qui fantasme) ; et sur le plan symbolique dans le partage des gestes et de la parole de tous les jours que l’on retrouve dans  « c’est plus facile de faire l’amour que de vivre 5 ans ensemble ».

L’autre forme de plaisir est plus féminine, plus réceptive : on la repère à travers nos exemples dans le plaisir intellectuel, esthétique, le « beau cas » du côté du thérapeute.

A travers nos exemples nous avons vu que sous le mot plaisir des attentes différentes apparaissaient chez les différents membres des couples conjugaux ou des couples patient /médecin le patient et le thérapeute. Pour le patient il s’agirait  de quelque chose de l’ordre de la jouissance, ou du plaisir érotique ou de l’amour ; chez le thérapeute il s’agirait de quelque chose de l’ordre du plaisir intellectuel, esthétique ou parfois de la jouissance phallique et alors nous nous trouvons du côté de la toute puissance.

Dans chaque thérapie sexuelle il est toujours question à un certain niveau du plaisir. Nous devons donc toujours repérer du plaisir de qui il est question : plaisir du patient ou plaisir du thérapeute. Nous devons aussi repérer s’il s’agit du plaisir phallique ou d’un plaisir plus féminin et savoir à quel niveau de réalité on travaille ( sur le plan du réel, de l’imaginaire ou du symbolique). Ce sont deux des conditions qui pourront permettre de reconnaître la demande de l’autre et son au-delà et d’établir avec une relation thérapeutique.

 

  

Gilles FORMET

 

 

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